9 novembre 2015

Après bien des années… à Léon Werth



Il est des contes qui illuminent notre enfance, des contes qui n’ont jamais fini de nous parler au cours de l’existence, et ce, malgré « Le désherbage » des bibliothèques… ainsi la Rose du Petit Prince resurgit-elle à côté de nous après des années de distance…sa toilette mystérieuse avait donc duré des jours et des jours et aujourd’hui nous dit secrètement le Petit Prince, elle a traversé des années et des années…
« Je me réveille à peine » nous dit-elle et nous nous réjouissons de ce soleil dans notre vie ! A notre grande émotion, le Petit Prince n’est pas seulement un conte mais le réveil d’une belle amitié qui a franchi les frontières de la mort et de l’oubli !
Enfant, il m’arrivait de me questionner sur la dédicace de ce merveilleux livre et j’étais tellement bouleversée que je me jurai de ne jamais oublier que les grandes personnes ont d’abord été des enfants.
Mais qui était ce Léon Werth à qui St-Exupéry dédiait le Petit Prince, promesse extraordinaire qui m’impressionnait tellement !

 « A Léon Werth quand il était petit garçon ».
Léon Werth, personnage mythique ou réel ?

Un livre de Viviane Hamy «  33 jours » nous révèle son identité et sa personnalité à travers une aventure parfois rocambolesque dans la traversée de cette dure période de l’Exode, une traversée de la France habituellement de 9heures mais qui, comme l’indique le titre du récit dura 33 jours.
Au volant de sa vieille Bugatti Léon Werth essaie de rallier, comme chaque été, sa maison de vacances de St Amour dans le Jura.
Les Allemands sont aux portes de Paris et des millions de Français et de réfugiés désorientés se retrouvent sur les routes de France dans un immense chaos…
Ainsi faisons-nous connaissance de Léon Werth (l’ami fidèle de St-Exupéry), ce personnage presque mythique aux prises avec les énormes difficultés du parcours, analysant avec perspicacité les évènements et les personnages, les dangers imprévus où ils sont confrontés, les relations des Français avec les nouveaux Occupants et les malheurs de l’époque.
La quête de l’habitat, d’un toit hypothétique pour abriter leur sommeil, d’un matelas providentiel ou (d’une paille), d’une maigre subsistance, occupe une place importante mais pas seulement car Léon Werth n’oublie pas d’analyser toutes ses rencontres pressentant qu’une psychologie avisée est pertinente pour déceler les comportements et les propos.

En 1940 les Allemands occupent Paris et les Français semblent ignorer cet évènement majeur que nous découvrons au fil des jours. Comme s’ils fuyaient la triste vérité ! La faim, le froid semblent guider les intérêts de tous…
Mais Léon Werth est aussi un chroniqueur, grand connaisseur de l’âme humaine, décelant dans les comportements et les propos la servitude et les déviances.
En exergue du livre il écrit « c’était le temps où ils étaient ‘corrects’ qui précède le temps où ils nous donnèrent des leçons de politesse », manière détournée et feutrée de dénoncer la violence future du comportement des soldats Allemands.
Dans un café, pour la première fois une femme ensommeillée au visage maussade corrobore son doute, osant cette réflexion : « La France est vendue ».
Désormais l’itinéraire de l’exode est guidé par une invisible autorité et c’est à chacun de se débrouiller au fur et à mesure et de sauver sa peau.

« Je ne demande qu’un toit contre les intempéries et un peu de paille, phrase rituelle que j’adresse aux habitants que je sollicite pour un accueil et particulièrement à un personnage ‘lumineux’ qui, malgré les circonstances peu favorables à l’hospitalité répondra à ma requête au-delà de toute espérance ! Ce paysan lettré a un nom : Abel Delaveau, son vrai nom et l’hospitalité fut pour lui plus qu’un rite mais un don et je ne l’ai jamais oublié… »

Une belle amitié qui se poursuivra au-delà de la guerre car Léon Werth a le culte de l’amitié et ses liens avec son ami St-Exupéry en témoigne, ainsi à la parution de « Terre des hommes » il gardera comme un trésor ce livre tout au long des routes.
En octobre 1940, St-Exupéry démobilisé, lui rend visite dans la maison de St Amour. L’année précédente, l’aviateur avait entamé la rédaction du Petit Prince
(publié en 1943 chez Brentano’S et dédié à son ami).
Lorsqu’il repart pour New-York, il emporte avec lui le manuscrit des «  33 jours » afin de la présenter à un éditeur américain mais pour des raisons inexpliquées la publication n’aura jamais lieu.
De son côté, St-Exupéry, convaincu de l’importance de ce livre en parlera dans « Pilote de guerre » (1942) en ces termes :

« Un de mes amis, Léon Werth, a entendu sur une route un mot immense qu’il racontera dans ce grand livre »

Ainsi les livres voyagent – parfois plusieurs années – sans ensemencer le cours de la littérature…
En 1992, Viviane Hamy fait paraître ce récit inédit en même temps qu’un autre livre de Léon Werth « Déposition » avec une présentation de (Lucien Febvre et une préface de Jean-Pierre Azéma).
Et les belles histoires ne finissent jamais…
En 2014, Dennis Johnson directeur de (Melville House Publishing), une maison située à New-York, décide d’entreprendre une enquête et retrouve le texte de la préface prévue par St-Exupéry dans une bibliothèque du Québec où est conservée la revue « Amérique française ».
C’est ainsi qu’en mars 2015, paraît le livre de « 33 jours » en langue anglaise aux Etats-Unis, avec la préface rédigée par St-Exupéry en 1940.
Aujourd’hui les éditions Viviane Hamy publient une nouvelle édition française augmentée de cette préface et enrichie de cartes et de photos. Ainsi l’intuition de St-Exupéry que l’homme est gouverné par l’Esprit et la loi du retour se vérifie entièrement :
 « Ce sont toujours d’invisibles lignes de force qui animent pour nous l’espace… si j’éprouve en montagne la sensation du vide, c’est que la pesanteur me tire vers le bas, ainsi je suis riche de directions aimantées… c’est grâce parmi d’autres à la maison de Léon Werth car Léon Werth est mon ami… la France est une chair dont je dépends, un réseau de liens qui me régit, un ensemble de pôles qui fondent mon cœur… c’est pourquoi j’avais tellement besoin de me rassurer sur ta présence dans cette maison du Jura que je connaissais bien, afin que fut sauvée pour moi une des directions cardinales du monde. »

Ainsi à travers les propos de St-Exupéry, nous découvrons après bien des années que Léon Werth, ce passeur du Petit Prince n’est pas seulement un personnage ordinaire mais un passeur de sens ! Il incarne pour nous un goût salutaire de liberté et d’après Léon Werth:
« …une parenthèse du temps qui permet de se recomposer une âme. Nous ne pensons pas selon l’histoire, mais selon cette route dont je connais les détours comme dans une vieille maison on reconnaît son enfance, j’y retrouve tout ce qui dans ma vie fut espoir et amour. »

En lisant ces deux écrivains unis par un destin commun, je mesure l’élan du cœur et la loyauté qui les réunit, frères en humanité au-delà de la barbarie.
Ainsi m’apparaît en pleine lumière leur dignité d’hommes libres dans une époque tragique où le déferlement de l’Histoire laissait peu d’espace aux forces de vie et de création. Après bien des années et presque miraculeusement, ils ont chaussé les bottes de sept lieues pour nous rejoindre et nous insuffler une espérance salutaire.

M.S


Pierre Sentenac 
'Espérance salutaire'
- tech.mixte, encres, craies, aérosol -
09/11/2015


Nota: 
ci-dessous couverture du livre de Viviane Hamy



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