24 juin 2015

Poésie « Souveraine »



En relisant les derniers poèmes de Robert Desnos transcrits sur le mur sinistre du camp de concentration où il vit ses derniers instants, comment ne pas être bouleversé par ses adieux, ce chant d’amour dédié à sa femme ?

Dernière flamme de vie d’un poète qui rêve encore de revenir « comme une ombre dans sa vie ensoleillée »… Dans cette expérience de nuit totale, une lueur se fait jour, peut-être une justification de la présence des poètes dans un monde de chaos organisé !

« On voudrait être un baume versé sur tant de plaies » écrit Etty Hillesum dans son dernier livre : « Une vie bouleversée »…
Ce baume, certains Résistants et Résistantes l’ont trouvé dans la présence mystérieuse de la poésie, parfois chez les artistes qui nous ont précédés dans les temps troublés et qui renaissent à travers les mots de notre mémoire, transmettant par là-même le viatique nécessaire dans des circonstances tragiques.

C’est ce témoignage des documentaires de la 2ème guerre mondiale sur le rôle des Résistants et Résistantes tente de nous révéler :

_Telle jeune fille aux portes de la mort, désireuse de ne pas parler et de résister à la torture, redit en elle-même les derniers vers d’un poème d’Alfred de Vigny appris dans son enfance , « La mort du loup » :

« fais énergiquement ta longue
et lourde tache
puis après comme moi
souffre et meurs sans parler… »

_Telle autre n’ayant plus la force de dire un poème pour résister à la souffrance demande comme une grâce à une compagne qui la soigne de lui réciter un poème d’Apollinaire…
C’est le baume sur le corps souffrant, le voile de Véronique sur le visage supplicié !

« Puissé-je être le cœur pensant de cette baraque » nous dit Etty Hillesum, souhaitant de toute son âme la présence d’un poète dans ce lieu inhumain « Il faut bien qu’il y ait un poète dans un camp pour vivre en poète cette vie-là (oui même cette vie-là) et pouvoir la chanter »

Aujourd’hui dans les temps incertains et individualistes d’une modernisation accélérée, existe-t-il encore une mémoire commune des mots substantiels de la poésie qui nous aiderait dans les épreuves extrêmes ? Question redoutable car la poésie est souvent considérée comme un genre littéraire désuet qui ne peut survivre dans une société technicisée.

Pourtant, il y a plus d’un siècle Emilie Dickinson victime d’un échec amoureux et de deuils successifs, choisit délibérément de se vouer à la nature et à l’introspection, tout en entrant de plein-pied dans la modernité mais faisant volontairement le choix de la poésie pour lutter contre le vertige de la mort et du néant, la poésie constituant pour elle un moyen de salut.
Ecrire contre le néant, c’est tenter de le déjouer par le jeu du langage, combler l’absence avec les mots, remonter jusqu’à la source de la parole !

« L’eau s’apprend par la soif …»

« Nous nous habituons à la Ténèbre
quand la Lumière manque… »

« Avec la poésie le matin est premier » nous dit-elle.
M.S



 Pierre Sentenac  "Hommage à Joseph S. _ /09/1943" Tech.Mixte/carton

Nota Bene :

Références du texte:

« Conversation Souveraine » RenéChar

« Une vie bouleversée » Etty Hillesum Seuil

« Poèmes » Emilie Dickinson Belin