19 février 2015

Lumières de la Grèce




L’Iliade, premier chef-d’œuvre de la littérature grecque (d’abord littérature orale puis remaniée durant des millénaires par différents auteurs qui nous ont transmis une œuvre écrite attribuée à Homère) a contribué avec l’Odyssée à la formation de la langue et de la civilisation grecque, puis de la civilisation latine et par là de la civilisation occidentale. Pendant vingt siècles elle a servi de fondement à l’éducation scolaire et l’on ne peut que regretter sa disparition progressive dans l’apprentissage des humanités !

De nos jours encore les poètes, dramaturges, romanciers, artistes puisent leur inspiration dans ce patrimoine de l’humanité !

L’ensemble de ces chants écrits en hexamètres dont la musicalité nous surprend par son pouvoir de suggestion nous rejoint dans notre quête des origines… nostalgie, encore un terme d’origine grecque dont Jacques Lacarrière nous révèle la puissance : l’algie, la douleur qui étreint le cœur d’Ulysse au souvenir de son pays, nosta : ce désir de retour au royaume d’Ithaque qu’il a quitté pour la guerre de Troie et qu’il n’aspire qu’à retrouver après sa captivité et ses épreuves de plusieurs années. Revoir sa terre, son épouse Pénélope et son fils Télémaque est l’ultime voyage qui donne sens à sa vie !

Sa quête de bonheur et de beauté au contact d’une nature si chère au cœur des anciens Grecs nous touche par sa spontanéité et sa chaleur humaine, cette nature que nous croyions éternelle et dont nous découvrons aujourd’hui la fragilité et l’urgence de sa protection.


« L’été grec », livre de Jacques Lacarrière (publié en 1975 dans la collection « Terre humaine » des éditions Plon) a renoué heureusement notre lien avec cette littérature grecque à qui nous devons tant !

Voyageur dans le temps mais aussi dans l’espace, l’auteur, fervent helléniste, nous a tracé avec ses différentes publications des chemins de découverte, des « promenades dans la Grèce antique » jusqu’au « Dictionnaire amoureux de la Grèce » qui nous rapprochent de tant de créateurs qui nous ont fait rêver…
Comment ne pas être sensibles aux merveilleuses pages de Kazantzakis dans « Alexis Zorba » un personnage populaire dont la dignité s’exprime dans une danse d’une noblesse qui transcende l’espace…
mais me direz-vous : « C’est une image d’Epinal ! »

Notre époque ne désacralise-t-elle pas systématiquement ce qui risquerait de nous émouvoir ? Mais peut-être faut-il lutter avec détermination contre cette tendance à ironiser et à nous endurcir ?
Les héros grecs des épopées sont de valeureux guerriers, pourtant à certains moments, ils s’humanisent comme Achille qui, malgré son héroïsme démesuré pleure devant la dépouille de son ami Patrocle dont il célèbre la grandeur et l’amitié…

Dans ses premiers voyages relatés dans « l’été grec », Jacques Lacarrière, passablement désargenté, a bénéficié de l’accueil chaleureux des gens du peuple aussi bien des marins que des paysans, une hospitalité spontanée qui ne lui a jamais fait défaut.
Voici une de ses premières visions de la Grèce :

«  Le caïque accoste doucement, un homme me tend la main pour grimper sur le quai, un homme avec un sourire chaleureux »…

Mais me direz-vous, c’était avant notre société de plus en plus consumériste, avant la crise économique dévastatrice que connaît la Grèce aujourd’hui depuis plusieurs années ? Je m’empresse de désavouer ce pessimisme ambiant.
En visionnant le documentaire de Thalassa, sur le canal de Corinthe, j’ai retrouvé la même familiarité confiante _malgré les terribles difficultés matérielles_ dans le sourire des pêcheurs et des paysans forcés de s’adapter mais toujours rayonnants de l’amour de leur terre et de la mer qui les fait vivre et espérer. Une sagesse grecque, un sens de la mesure dont nous avons beaucoup à apprendre aujourd’hui. Et comment ne pas rêver avec les Grecs d’un monde réconcilié avec la beauté du ciel et la fraternité, sensibles comme Empèdocle lorsqu’il découvrit la Grèce avec enchantement la première fois :

« J’ai pleuré, sangloté en découvrant la beauté de ce pays étrange ».

Tous ces philosophes, ces écrivains anciens et modernes, sont des phares comme ce pays que tant de créateurs amoureux de leur terre n’ont cessé de célébrer tel le poète Sikélianos qui se couchait des nuits entières contre la terre et qui, s’agenouillant sur la terre d’Attique, se pressait contre ses pierres

« pour écouter leur battement

monter comme un chant de grillon

dans la nuit de lumière… »


M.S



Pierre Sentenac  "La beauté grecque" 19/02/2015