19 avril 2014

Malgré la nuit


Dans la poésie de la Renaissance espagnole Jean de la Croix (1542-1591)  occupe  une place à part malgré la brièveté de son œuvre : moins de 1000 vers en tout !
C’est sans doute le poète le plus bref de la langue espagnole, peut-être de la littérature universelle. Certes une poésie mystique et même si l’on ne tient pas compte de sa signification religieuse (sa rencontre avec Dieu) elle constitue un sommet de la poésie amoureuse universelle.

Le corpus de l’œuvre poétique de St Jean de la Croix se réduit à 20 compositions qui renferment la quintessence de l’expérience humaine et mystique de ce poète.
Selon la tradition, il aurait écrit le « Cantique spirituel » sous le choc de l’émotion éprouvée alors qu’il était enfermé au couvent de Tolède (décembre 1577- août 1578) en entendant chanter un refrain d’amour :

« Muerome de amores… :  Que je me meure d’amour… »

Transposée en amour divin l’inspiration du poète fut influencée par le « Cantique des cantiques » qu’il affectionnait particulièrement et qui accompagnera bien plus tard, en décembre 1591, ses derniers instants.

Le « Villancico » intitulé « Que bien se yo la fonte » écrit dans la cellule noire de Tolède est une des poésies les plus originales du poète.
Le refrain obsédant « Aunque es de noche : Malgré la nuit » est sans doute emprunté au chansonnier populaire qui a laissé beaucoup d’échos dans l’œuvre de ce poète enraciné en terre castillanne.

La source et la nuit : à partir de ces deux images se déroule une litanie d’une grande beauté plastique célébrant avec une émotion frémissante la foi obscure et la source de toute vie.

Michèle Serre


Malgré la nuit

Je sais la source qui jaillit et fuit
malgré la nuit.

Cette source éternelle est cachée,
mais moi je sais où elle a sa demeure,
malgré la nuit.

Ne sais son origine, car n’en a point,
mais je sais que d’elle toute origine vient,
malgré la nuit.

Je sais que ne peut être chose si belle,
Et que cieux et terre boivent en elle,
malgré la nuit.

Je sais qu’on ne peut en trouver le fond,
et que nul ne peut la passer à gué,
malgré la nuit.

Sa clarté jamais n’est obscurcie,
et je sais que d’elle toute lumière vient,
malgré la nuit.

Je sais que ses cours sont si abondants,
qu’ils irriguent l’enfer, les cieux et les nations,
malgré la nuit.

Le cours qui naît de cette source,
je sais qu’il est aussi vaste et tout-puissant,
malgré la nuit.

Le cours qui de ces deux procède,
je sais qu’aucun d’eux ne le précède,
malgré la nuit.

Cette source éternelle est cachée,
en ce pain vivant pour nous donner la vie,
malgré la nuit.

Elle appelle là toutes les créatures,
et de cette eau s’abreuvent, quoique dans l’obscur,
car c’est la nuit.

Cette vive source que je désire,
en ce pain de vie je la vois,
malgré la nuit.

                                                             




Pierre Sentenac _ hommage à St Jean de la croix _

1 commentaire:

  1. Merci de nous rappeler l'existence de cette source vive et éternelle, même si elle reste cachée.

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