26 décembre 2013

Poulenc Soleil d’hiver


Nous fêtons en cette année 2013, le 50ème anniversaire de la mort de Francis Poulenc musicien poète.

Nous avions déjà signalé dans notre blog ses affinités avec Baudelaire, ses complicités rituelles avec la nature, l’esprit festif de la génération des années trente animées par une soif de culture universelle et de joie de vivre.
Il nous reste à explorer d’autres aspects de sa personnalité et de son œuvre.
Des critiques et, parfois le grand public, lui ont souvent reproché sa fantaisie et son goût du divertissement mais à ces reproches il opposait sa passion pour la poésie et les poètes.

Outre ses amis musiciens et son admiration pour Mozart qu’il considérait comme un dieu, pour les œuvres de Debussy, Stravinsky, Eric Satie et le groupe des six dont il faisait partie sous la férule de Cocteau, il voit souvent une jeune fille Raymonde Linossier qui joua un rôle majeur dans sa formation intellectuelle dès l’enfance. Grande lectrice, celle que Léon-Paul Fargue appelait « La violette noire » communiqua à son ami ses découvertes littéraires.
Un amour commun de la poésie les unissait. Et il n’oubliera jamais celle qui a enchanté sa jeunesse. Avec elle, il fréquente la librairie « Aux amis des livres » rue de l’Odéon, tenue par Adrienne Monnier. Tous les écrivains et poètes de valeur, tous ceux qui devaient compter dans l’entre-deux guerres viennent y lire leurs œuvres. C’est là qu’il rencontra André Breton, Louis Aragon et surtout Paul Eluard dont les poèmes livreront au musicien (quelques années plus tard) la clef de son lyrisme musical.

C’est à Paul Eluard qu’il demanda les paroles d’un « Soir de neige », œuvre grave et recueillie d’un lyrisme tout intérieur faisant référence à un évènement de l’année 1910 de son enfance. En effet l’hiver de 1910 lui apporte une révélation.
Replié à Fontainebleau avec ses parents, par suite des inondations qui font de Paris une nouvelle Venise, il découvre chez un marchand de musique « Le Voyage d’Hiver » de Schubert. Il joue et rejoue sans cesse Le Tilleul, Le Joueur de vielle et surtout le Soleil d’Hiver :
« J’avais tourné mon piano de telle sorte, écrit-il que, vers 4heures de l’après midi, je pouvais chanter cette mélodie en contemplant le Soleil qui, tel un rouge fromage de Hollande, flottait à travers les arbres de la forêt couverte de givre ».


Pierre Sentenac "Soleil d'hiver",1979, huile/bois,38x58cm


Sans doute, est-ce au soleil d’hiver que Poulenc dut la révélation de son destin de mélodiste. Mais c’est bien plus tard en 1937 que son œuvre mélodique s’enrichit d’une œuvre capitale sur les poèmes de Paul Eluard. Poulenc écrit à ce propos : « J’avais cherché des années la clef musicale de la poésie de Paul Eluard ».
Avec les 9 mélodies de « Tel jour telle nuit » la clef est trouvée.
La première mélodie « Bonne journée » rentre dans le cœur sans surprise celle d’une joie paisible où l’on rencontre « des femmes fugaces » dont les yeux font « une haie d’honneur », les beaux regards de ses amis qui participent à la réussite de cette journée.
« Lorsque je reste des semaines à travailler loin de Paris, c’est vraiment avec un cœur d’amoureux que je retrouve ma ville ». C’est ce cœur d’amoureux qui transparaît dans les mots d’Eluard en symbiose avec sa musique, sensualité légère et comme immatérielle des poèmes d’amour du poète.

Nous avons fait la nuit, je tiens ta main, je veille
Je te soutiens de toutes mes forces
Je grave sur un roc l’étoile de tes forces
Sillons profonds où la bonté de ton corps germera
Je me répète ta voix cachée ta voix publique
Je ris encore de l’orgueilleuse
Que tu traites comme une mendiante
Des forces que tu respectes des simples où tu te baignes
Et dans ma tête qui se met doucement d’accord avec la tienne
[avec la nuit]
Je m’émerveille de l’inconnue que tu deviens
Une inconnue semblable à toi semblable à tout ce que j’aime
Qui est toujours nouveau.

D’autres poètes escorteront sa musique tels Robert Desnos, Max Jacob et bien d’autres…mais Apollinaire est aussi un de ses élus.
Avec lui, il célèbre le Paris nocturne et populaire, les flâneries le long des boulevards mais surtout « la Grenouillère », mélodie qui suggère un beau passé perdu, des dimanches heureux, les déjeuners au bord de l’eau chers à Renoir et que les peintres impressionnistes ont peint avec une fraîcheur inimitable…
Mélodiste dans l’âme, le musicien entreprend des tournées avec le chanteur Bernac et sa collaboration avec Apollinaire est prégnante surtout avec les « Calligrammes ». dans son « Journal de mes mélodies » il exprime sa préférence pour les poèmes courts :
« J’ai toujours aimé la taille de timbre-poste d’un ‘Poème’ et du ‘Pont’  qui suggèrent avec si peu de mots un grand silence et un grand vide ».

Il se remémore avec mélancolie ses promenades avec Raymond Radiguet au bord de la Marne de son enfance, à Nogent, où les jeunes gens se retrouvaient aux environs de leur vingtième année, reprenant le recueil des poèmes de son ami :
« Les jours en feu » et « Paul et Virginie ».
« Ces quelques vers de Radiguet ont toujours eu pour moi une saveur magique » écrit-il.

Sa sympathie pour les poètes et son enthousiasme pour leurs œuvres ne se sont jamais démenties, sa musique leur rendant hommage au gré de son inspiration. Avec une aisance naturelle, Paul Eluard n’oubliera pas de célébrer ses mélodies avec simplicité.

Francis je ne m’écoutais pas
Francis je te dois de m’entendre
Sur une route toute blanche
Dans un immense paysage
Où la lumière se retrempe

La nuit n’y a plus de racines
L’ombre est derrière les miroirs
Francis nous rêvons d’étendue
Comme un enfant de jeux sans fin
Dans un paysage étoilé

Qui ne reflète que jeunesse.
M.S

Nota bene :

1) _ La référence du précédent article sur Francis Poulenc
« De la couleur et de la lumière »
a été publié sur ce blog, le 28/01/2012.

 2) _ Références musicales relatives à cet article :

Mélodies, enregistrement intégral avec les voix de :
E. Ameling, G. Souzay, N. Gedda, M. Sénéchal, W. Parker.
Piano: Dalton Baldwin
Disques : EMI VSM C165-16231/35 (5disques)
 



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