25 octobre 2012

Agnès Varda ou le temps qui passe



Cette amoureuse du cinéma et de l’art en général ne cessa de s’interroger sur le temps qui passe, édifiant au fil des jours et des ans, un tableau vivant de notre époque… portant un regard curieux sur les évènements et les gens, ses proches et tous les autres…
Des rencontres passionnantes l’ont formée et souvent comblée car l’art est la grande affaire de sa vie !
Sa ville fétiche, Sète, où sa famille s’est réfugiée lors de la débâcle de 1940, dans un bateau amarré sur le quai du canal, face à une maison devenue hospitalière pour une famille démunie.
Quelle nostalgie teintée d’humour, quelle légèreté quand elle évoque ses jeux avec ses petits compagnons, une lumière dans le regard qui annihile les souffrances et les privations de la guerre ! Que sont devenus ces jeunes espiègles ? Elle scrute avec affection leurs traits vieillis et burinés, prend du recul, se divertit et, malgré son ton enjoué, une émotion retenue perce dans ses propos.
Sète, patrie de Jean Vilar, le fondateur du festival d’Avignon à qui elle rend un hommage vibrant ! Sète, sa rencontre avec le réalisateur Jacques Demi, l’amour de sa vie parti trop tôt et le père de ses enfants… ses chers défunts dont elle fait un inventaire à travers films et photographies.
Un parcours de générosité car elle aime les gens, les artistes qu’elle admire mais aussi les gens de la vie ordinaire, ces veuves qu’elle filme avec empathie sur la plage, indissolublement liée au couple qu’elle forma avec Jacques Demi à l’origine de sa découverte de Noirmoutier. C’est là, après sa mort qu’elle réalisa en son honneur le beau documentaire :
« Quelques veuves de Noirmoutier »
partageant avec ces femmes fortes un destin commun de solitude.
Ainsi se dévoile-t-elle avec pudeur, « à pas feutrés » faisant surgir au-delà des images, un goût subtil de l’ailleurs, une fantaisie légère qui nous émeut par sa spontanéité.
Modeste, elle se moque parfois d’elle-même et ses multiples déguisements déminent souvent la nostalgie.
Une femme libre et moderne qui n’est jamais là où nous l’attendons, nous enchante par ses facéties, nous déconcerte parfois, et dont la rencontre (même virtuelle) nous humanise.
  M.S



     Pierre Sentenac "Un ange passe" collage papier (16/02/1989)



"Et nous avons si peu de temps
Pour rendre hommage à notre vie
Ignorante est notre écriture
         des insolences du destin"
                        Les éphémères I _ Michèle Serre

7 octobre 2012

Hildegarde de Bingen, une femme intemporelle


Il y a quelques années, l’historienne Régine Pernoud nous a permis de découvrir avec bonheur Hildegarde de Bingen, cette femme hors du commun du Moyen-Age d’Outre-Rhin. Elle la présente comme la conscience inspirée du Moyen-Age.
Le Moyen-Age est aussi celui des villes et des monastères. L’ardeur à bâtir va de pair avec l’expansion des villes, sans parler des monastères qui surgissent partout de terre. C’est dans ce monde en plein essor que se situe la naissance d’une petite fille dans une famille de la noblesse locale du Palatinat. Une petite fille, apparemment comme les autres mais qui étonne parfois son entourage. De santé fragile, elle ignore beaucoup de choses de la vie extérieure et souffre d’être incomprise car elle évoque souvent des réalités qui paraissent étranges à ceux qui l’entendent :
« On peut penser que cet enfant de santé délicate et d’une grande sensibilité, avait un don de double vue… ».

A l’âge de 8 ans, ses parents la confient à une jeune femme de noble naissance, Juta qui prend en main son éducation dans son monastère. Elle lui apprend les psaumes ainsi qu’à jouer  du ‘désacorde’, instrument dont on s’accompagnait pour chanter les psaumes. A l’époque, toute éducation commence par le chant :
« Apprendre à lire se dit alors apprendre le psautier ».
Son enfance et son adolescence sont donc cachées : celle de toute moniale suivant la règle bénédictine.

A l’âge de 15 ans, elle prend le voile. Elle s’était ouverte à Juta de ses visions secrètes. Celle-ci prit conseil de l’un des moines nommé Volmar qui l’assista pendant 30 ans. Il deviendra d’ailleurs son secrétaire et son ami. A la mort de Juta, les religieuses élisent Hildegarde comme abbesse. Elle approche de ses 40 ans et c’est alors qu’elle est révélée à elle-même, commençant à parler de ses visions célestes :
« Les visions que j’ai vues ce n’est ni en songe, ni dans le sommeil mais je les ai perçues étant éveillée, des yeux et de l’oreille de l’homme intérieur ».

Dans son premier livre Scivias « connaîs les voies », elle ne se contente pas de les contempler mais avec une grande énergie spirituelle, elle les explique théologiquement et les fait compléter par des illustrations. Avec une grande force de communication, elle transmet ce message, les images lui permettant d’accéder à tous, même aux plus pauvres. Elle accomplit des tournées de prédication au cœur de l’Europe et draine des foules par milliers sur les parvis des cathédrales.

Prophétesse, elle est sollicitée par des centaines de personnes pour des conseils spirituels aussi bien par la hiérarchie (le pape, les évêques, les rois et l’empereur) que d’autres personnes moins connues.
Femme libre face au pape et aux rois, elle ose s’exprimer avec fermeté. Une manière puissante de s’affirmer qui pourrait inspirer des femmes d’aujourd’hui !
Artiste, elle compose des musiques pour recréer l’harmonie perdue. Ses compositions nous apparaissent très contemporaines par leur visée thérapeutique et spirituelle. Moment de contemplation qui exprime l’émerveillement de l’homme devant la beauté de la création et la quête de l’Orient, le lieu de la lumière divine, source d’énergie vitale !

Victime dans sa chair de nombreuses épreuves de santé, elle prône une médecine naturelle et ses moniales bénéficient de ses conseils d’une alimentation naturelle et d’une éducation orientée vers l’art, le chant et la danse mais aussi la musique et la beauté des fêtes où les corps s’expriment aussi bien que l’esprit.
Elle nous invite à tisser des liens toujours plus forts avec la nature, établissant des correspondances entre l’homme et le cosmos.
Elle crée des jardins médicinaux, répertorie les plantes, les animaux ou les pierres dans de véritables encyclopédies privilégiant l’écriture poétique.
L’homme vibre à l’unisson avec le monde vivant et il s’agit de préserver l’équilibre du bien commun de la planète-terre par des comportements responsables. N’est-ce pas le message profond de l’écologie ?
 « …le feu, l’air, l’eau et la terre sont présents dans l’homme et c’est d’eux qu’il est formé » nous dit-elle dans un de ses livres (les causes et les remèdes).

Et l’on ne peut qu’évoquer ces éléments de la nature qui nous sont consubstantiels, rejoignant ainsi les grandes intuitions d’ Hildegarde !
Elle nous invite à célébrer les subtilités de la nature aussi bien par nos sens que par notre esprit. Comme l’arbre est nourri par la sève, de même l’homme doit rechercher dans la nature la viridité : force d’énergie vitale qui réchauffe notre corps et notre âme.

Parcourir les ouvrages d’ Hildegarde qu’il s’agisse de la ‘Médecine simple’ ou de la ‘Médecine composée’ offre ainsi l’immense variété de leçons de vie, sans parler de la dimension poétique de la nature, ne serait-ce qu’à travers les noms eux-mêmes : on passe de la véronique cressonnée à la potentille ou l’aigremoine, des noms que la poétesse Marie Noël égrenait avec ferveur dans ses chemins familiers…
La nature est toujours à découvrir et à redécouvrir dans ses valeurs et ses secrets. A lire les ouvrages médicinaux d’ Hildegarde, une part insoupçonnée de notre environnement nous est révélé avec ses trésors et ses bienfaits.

Une belle leçon d’écologie poétique !

Hildegarde dont le nom signifie « qui veille dans la bataille » ne baissa jamais la garde et ne cessa d’affirmer son autonomie de pensée dans un monde dominé par les hommes.
«Femme d’autorité, elle incarne une féminité puissante, très rare, qu’on peut encore lui envier » écrit Jacqueline Kelen.

Elle fonda 2 abbayes, mena à bien une œuvre musicale considérable, plusieurs projets de livres, influença son époque par son charisme exceptionnel et le courage de sa foi en Dieu. Responsable de l’éducation de nombreuses moniales, elle leur dispensa une éducation rigoureuse mais imprégnée de joies qui symphonisent  la vie.
M.S




Pierre Sentenac, Hommage à Hildegarde